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Le narrateur, un jeune garçon, n’ a pas obtenu l’autorisation de participer à la partie de chasse organisée par son père, qui est novice en la matière, et son oncle, qui est expert et ne manque jamais une occasion de rappeler sa supériorité. Il les suit en cachette, à distance, mais il s’est perdu dans la nature haute-provencale.
Les bartavelles
Oui, c’était bien un vallon, qui se creusait à mesure que je m’approchais. Peut-être était-ce celui du matin ?
Les deux mains en avant, j’écartais les térébinthes, et les genêts, qui étaient aussi grands que moi… J’étais encore à cinquante pas du bord de la barre, lorsqu’une détonation retentit, puis, deux secondes plus tard, une autre ! Le son venait d’en bas : je m’élançai, bouleversé de joie, lorsqu’un vol de très gros oiseaux, jaillissant du vallon, piqua droit sur moi… Mais le chef de la troupe chavira soudain, ferma ses ailes et, traversant un grand genévrier, vint frapper lourdement le sol. Je me penchais pour le saisir, quand je fus à demi assommé par un choc violent qui me jeta sur les genoux : un autre oiseau venait de me tomber sur le crâne, et je fus un instant ébloui. Je frottai vigoureusement ma tête bourdonnante : je vis ma main rouge de sang. Je crus que c’était le mien, et j’allais fondre en larmes, lorsque je constatai que les volatiles étaient eux-mêmes ensanglantés, ce qui me rassura aussitôt.
Je les pris tous deux par les pattes, qui tremblaient encore du frémissement de l’agonie.
C’étaient des perdrix, mais leur poids me surprit : elles étaient aussi grandes que des coqs de basse-cour, et j’avais beau hausser les bras, leurs becs rouges touchaient encore le gravier.
Alors mon cœur sauta dans ma poitrine : des bartavelles ! Des perdrix royales ! Je les emportai vers le bord de la barre – c’était peut-être un doublé de l’oncle Jules ?
Mais, même si ce n’était pas lui, le chasseur qui devait les chercher me ferait sûrement grand accueil, et me ramènerait à la maison : j’étais sauvé !
Comme je traversais péniblement un fourré d’argéras, j’entendis une voix sonore, qui faisait rouler les R aux échos : c’était celle de l’oncle Jules, voix du salut, voix de la Providence !
A travers les branches, je le vis. Le vallon, assez large et peu boisé, n’était pas très profond. L’oncle Jules venait de la rive d’en face, et il criait, sur un ton de mauvaise humeur :
- Mais non, Joseph, mais non ! Il ne fallait pas tirer ! Elles venaient vers moi ! C’est vos coups de fusil pour rien qui les ont détournées !
J’entendis alors la voix de mon père, que je ne pouvais pas voir, car il devait être sous la barre :
- J’étais à bonne portée, et je crois bien que j’en ai touché une !
- Allons donc, répliqua l’oncle Jules avec mépris. Vous auriez pu peut-être en toucher une, si vous les aviez laissé passer ! Mais vous avez eu la prétention de faire le « coup du roi » et en doublé ! Vous en avez déjà manqué un ce matin, sur des perdrix qui voulaient se suicider, et vous l’essayez encore sur des bartavelles, et des bartavelles qui venaient vers moi !
- J’avoue que je me suis un peu pressé, dit mon père, d’une voix coupable… Mais pourtant…
- Pourtant, dit l’oncle d’un ton tranchant, vous avez bel et bien manqué des perdrix royales, aussi grandes que des cerfs-volants, avec un arrosoir qui couvrirait un drap de lit. Le plus triste, c’est que cette occasion unique, nous ne la retrouverons jamais ! Et si vous m’aviez laissé faire, elles seraient dans notre carnier !
- Je le reconnais, j’ai eu tort, dit mon père. Pourtant, j’ai vu voler des plumes…
- Moi aussi, ricana l’oncle Jules, j’ai vu voler de belles plumes, qui emportaient les bartavelles à soixante à l’heure, jusqu’en haut de la barre, où elles doivent se foutre de nous !
Je m’étais approché, et je voyais le pauvre Joseph. Sous sa casquette de travers, il mâchonnait nerveusement une tige de romarin, et hochait une triste figure. Alors, je bondis sur la pointe d’un cap de roches, qui s’avançait au-dessus du vallon et, le corps tendu comme un arc, je criai de toutes mes forces : « Il les a tuées ! Toutes les deux ! Il les a tuées ! »
Et dans mes petits poings sanglants d’où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant.
La gloire de mon père (1957). Marcel Pagnol. Editions de Fallois, 1996. p.196-97 .
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XCVII
Nuit. Silence. Immobilité d'une branche et de ma pensée.
Une rose, image de ta splendeur éphémère,
vient de laisser tomber un de ses pétales.
Où es-tu, en ce moment, toi qui m'as tendu la coupe
et que j'appelle encore ?
Sans doute, aucune rose ne s'effeuille près de celui
que tu désaltères là-bas,
et tu es privée du bonheur amer
dont je sais t'enivrer.
Omar Khayyâm,Rubaiyat.
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Pour ne plus, jamais plus, vous parler de la pluie,
Plus jamais du ciel lourd, jamais des matins gris,
Je suis sortie des brumes et je me suis enfuie,
Sous des ciels plus légers, pays de paradis,
Oh, que j'aurais voulu vous ramener, ce soir,
Des mers en furie, des musiques barbares,
Des chants heureux, des rires, qui résonnent bizarres,
Et vous feraient le bruit d'un heureux tintamarre,
Des coquillages blancs et des cailloux salés,
Qui roulent sous les vagues, mille fois ramenés,
des soleils éclatants, des soleil éclatés,
Dont le feu brûlerait d'éternels étés,
Mais j'ai tout essayé,
J'ai fait semblant de croire,
Et je reviens de loin,
Et le soleil est noir,
Mais j'ai tout essayé,
Et vous pouvez me croire,
Je reviens fatiguée,
Et c'est le désespoir,
Légère, si légère, j'allais court vêtue,
Je faisais mon affaire du premier venu,
Et c'étais le repos, l'heure de nonchalance,
A bouche que veux-tu, et j'entrais dans la danse,
J'ai appris le banjo sur des airs de guitare,
J'ai frissonné du dos, j'ai oublié Mozart,
Enfin, j'allais pouvoir enfin vous revenir,
Avec l'oeil alangui, vague de souvenirs,
Et j'étais l'ouragan et la rage de vivre,
Et j'étais le torrent et la force de vivre,
J'ai aimé, j'ai brûlé, rattrapé mon retard,
Que la vie était belle et folle mon histoire,
Mais la terre s'est ouverte,
Là-bas, quelque part,
Mais la terre s'est ouverte,
Et le soleil est noir,
Des hommes sont murés,
Tout là-bas, quelque part,
Des hommes sont murés,
Et c'est le désespoir,
J'ai conjuré le sort, j'ai recherché l'oubli,
J'ai refusé la mort, j'ai rejeté l'ennui,
Et j'ai serré les poings pour m'ordonner de croire,
Que la vie était belle, fascinant le hasard,
Qui me menait ici, ailleurs ou autre part,
Où la fleur était rouge, où le sable était blond,
Où le bruit de la mer était une chanson,
Oui, le bruit de la mer était une chanson,
Mais un enfant est mort,
Là-bas, quelque part,
Mais un enfant est mort,
Et le soleil est noir,
J'entends le glas qui sonne,
Tout l&arave;-bas, quelque part,
J'entends le glas sonner,
Et c'est le désespoir,
Je ne ramène rien, je suis écartelée,
Je vous reviens, ce soir, le coeur égratigné,
Car, de les regarder, de les entendre vivre,
Avec eux, j'ai eu mal, avec eux j'étais ivre,
Je ne ramène rien, je reviens solitaire,
Du bout de ce voyage au-delà des frontières,
Est-il un coin de terre où ne rien se déchire,
Et que faut-il donc faire, pouvez-vous me le dire,
S'il faut aller plus loin pour effacer vos larmes,
Et si je pouvais, seule, faire taire les armes,
Je jure que, demain, je reprends l'aventure,
Pour que cessent, à jamais, toutes ces déchirures,
Je veux bien essayer,
Et je veux bien y croire,
Mais je suis fatiguée,
Et le soleil est noir,
Pardon de vous le dire,
Mais je reviens, ce soir,
Le coeur égratigné,
Et c'est le désespoir,
Le coeur égratigné,
Et c'est le désespoir,
Le désespoir...
Barbara,Le soleil noir.
Rédigé à 13:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
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